Dominique Georget-Tessier, novembre 2010 

« MON ASSIETTE, MA SANTE, MA PLANETE »  Pierre Weill, Plon, 2010

Pierre Weill, agronome et chercheur, est le fondateur de l’Association Bleu, Blanc, Cœur, association qui développe les sources végétales traditionnelles riches en oméga 3 dans l’alimentation des animaux (herbe, lin, luzerne, lupin).

En collaboration avec l’INRA,  le CNRS, l’INSERM, Pierre Weill a participé à de nombreuses études montrant les effets de l’alimentation sur la santé humaine  et plus particulièrement sur l’importance des Oméga 3 comme facteur déterminant de l’équilibre entre notre alimentation et notre santé. 

Ce livre, à caractère militant, extrêmement documenté (il est illustré par une cinquantaine de références scientifiques) relie dans une enquête transversale pluridisciplinaire nutrition, environnement et santé et a pour but de nous aider à « nous réapproprier notre espace alimentaire » et à redécouvrir le lien de nos aliments avec le terroir dont ils sont issus.

Or, la pluridisciplinarité fait souvent défaut dans l’univers de la recherche qui pratique -souvent sans le savoir- ce que le neuropsychiatre Boris Cyrulnik appelle « la théorie des confettis, une façon de découper les problèmes et de les étudier séparément ce qui ne permet pas de les appréhender dans leur globalité. Dans cet ouvrage, Pierre Weill,  en conjuguant aspects scientifiques, économiques, environnementaux et médicaux  démontre le lien existant entre l’appauvrissement des sols (en rapport avec les monocultures de maïs, soja) la nourriture infligée aux animaux d’élevage, l’augmentation des maladies de civilisation et l’enrichissement des firmes productrices de produits phytosanitaires  et des laboratoires pharmaceutiques. Les maladies de civilisation seraient en fait selon lui des maladies environnementales.

PREMIERE PARTIE : LES RACINES BIOLOGIQUES DU NOUVEAU DESORDRE MONDIAL 

Lorsqu’on donne à l’automne à une marmotte une alimentation riche en oméga 3 (graine de lin) celle-ci ne rentre pas en hibernation (équipe du professeur Florant, Colorado,  Physiologie et comportement) : elle court, rencontre d’autres marmottes et cherche à faire des petits !

L’alternance sur les sols des oléagineux (lins), des protéagineux (légumineuses : trèfle, luzerne, fève, lupin, trèfle, pois captant l’azote du sol pour leur synthèse de protéine) des céréales (blé, orge, millet) et les apports de l’élevage (matière organique des fumiers) entretenaient la richesse et la fertilité des sols .

La biodiversité des populations traditionnelles était responsable de la « biodiversanté », selon le néologisme créé par l’auteur.

Les premières études sur les maladies de civilisation ont mis en évidence le lien entre terroir, agriculture et habitudes alimentaires.

Depuis les 30 dernières années, nous sommes passés de la riche biodiversité à quelques monocultures dominantes – la moitié des surfaces cultivées – basées sur le pétrole, les engrais, les pesticides. Maïs,  soja, blé et palme,  riches en oméga 6, constituent une part importante de notre alimentation.

Or, cette alimentation est responsable d’obésité : au Ghana,  pays souffrant de famine et de dénutrition, on trouve maintenant 6% d’obèses.

Les études montrent le lien entre l’augmentation du rapport oméga 6/oméga 3, situé à 5 en 1954, et entre 15 et 25 en 2010 et la consommation de statines (consommés par 6 millions de français) [1].

L’huile la plus consommée dans le monde est l’huile de palme, la plus productive et la moins chère du monde). Son développement  en Malaisie, Indonésie s’est fait au détriment de la forêt primaire à grands coups de pesticides rentrant dans les tourteaux de palme et dans notre chaîne alimentaire via l’alimentation animale. On la retrouve dans les margarines  riches en acides gras trans ou en oméga 6, les plats préparés, les biscottes, les brioches, les céréales de petit déjeuner et les biscuits.

Le  maïs actuel (hybride très éloigné de son lointain ancêtre, le téosinthe,  plante sacrée des Mayas,  se cultive toutes les années sur les mêmes terres ce qui nécessite l’utilisation massive d’herbicides, insecticides et fongicides. Il constitue la matière première  d’amidons modifiés, de dextrose, de sirop glucose et fructose de maïs et également de cornflakes, semoules… Il est un élément important de l’alimentation animale.

Le blé occupe des terres nouvelles. Il devient agent de texture, exhausteur de goût ou sirop sucrant, snack, apéritif, chewing-gum, biscuit, céréale de petit déjeuner, pizza, plat préparé. Il est avec le maïs, la source essentielle de nos apports glucidiques.

Quant au soja, il a remplacé le lupin, la luzerne, la fève et autres légumineuses pour l’apport azoté des  animaux nourris aux tourteaux de soja.

Les graisses saturées de palme et de soja nourrissent les animaux d’élevage.

Blé, maïs, huile de soja et palme (trompeusement dites « huiles végétales » -dans le végétal, le naturel, tout est bon croit-t-on : mais non !) amidon de maïs apportent des calories creuses dépourvues de vitamines et de minéraux, qui vont, en passant dans la circulation sanguine, déclencher la sécrétion d’insuline et faire monter rapidement le taux de sucres et de lipides, responsable du diabète et de l’obésité.

DEUXIEME PARTIE : LA PLANETE CRAQUE ET NOS CORPS SOUFFRENT 

Pierre Weill souligne ici :

  • Le rôle du méthane produit par les bovins dans les gaz à effet de serre
  • L’inflammation responsable des maladies de civilisation (syndrome métabolique,maladies cardio vasculaires , maladies inflammatoires  liée à l’excès d’oméga 6 dans notre alimentation et celle des animaux)
  • Le lien entre l’agriculture,  l’alimentation animale et l’alimentation humaine
  • La mise en évidence des effets trans-générationnels d’une alimentation riche en oméga 6 (la nature de notre alimentation peut modifier l’expression de nos gènes pro-inflammatoires)
  • L’apparition de nouvelles pathologies : les nutritionnistes et les psychiatres du GROS [2] désignent par « restriction cognitive » le trouble du comportement alimentaire qui apparaît quand les sens qui devrait réguler notre appétit sont mis au second plan par une trop grande réflexion sur les rapports à la nourriture.
  • La renaissance de l’amarante qui résiste aux pesticides et se développe plus vite que les plantes OGM et du lin riche en oméga 3
  • L’importance de la biodiversité, de la réintroduction des légumineuses.
  • L’importance d’une alimentation composée d’aliments vivants et non d’OCNI « objets comestibles non identifiés » (selon le terme de Claude Fischler, sociologue spécialiste du comportement alimentaire)
  • Produits bio : oui mais pas avec 25% d’huile de palme même bio !

TROISIEME PARTIE : POUR UN NECESSAIRE CHANGEMENT D’ATTITUDE 

L’aliment est plus important que le nutriment souligne Pierre Weill : cela semble évident à beaucoup d’entre nous, aux anciens surtout. Le vin, ce n’est pas du polyphénol en bouteille  bien sûr, c’est un produit unique, fruit de la rencontre d’une terre, d’un climat et de traditions agricoles qui garde la mémoire d’un coteau, de même que la sauce tomate maison, c’est plus que du lycopène…

Quant au fromage : qu’en est-il du camembert fabriqué en Normandie (pas du camembert de Normandie, celui-là bénéficie d’une AOC,  appellation d’origine contrôlée) ? D’où vient le lait qui a servi à le fabriquer : de Normandie, d’Europe de l’Est, de Chine ? Comment ont été nourries les vaches : ensilage de maïs, tourteaux de soja, de tournesol ? ou à l’herbe, à la luzerne et au lupin, riches en oméga 3 ? Ont-elles été élevées en prairies ou en stabulation ? Ont-elles eu des baisses d’appétit à ne pas voir le soleil, traitées par des cures de vitamines ?

Le lait de vaches nourries en plein air, aux chloroplastes de l’herbe, avec un mélange de graines de lin cuites contient 400 acides gras différents, trois fois plus d’Oméga 3, du CLA (Conjugated Linoleic Acid qui aurait des vertus anticancérigènes) et beaucoup moins de graisses saturées.

Ces vaches émettent moins de méthane (de gaz à effet de serre) dans leurs rots et donc ont un effet favorable sur notre environnement.

Le lin a un faible rendement à l’hectare mais a sa place dans les rotations et dans l’alimentation des bovins qui produisent un lait riche en Oméga 3 (filière Bleu, Blanc, Cœur). L’amarante qui résiste aux herbicides Round Up de Monsanto défie les multinationales, apôtres des maïs OGM.

De la même manière qu’une agriculture favorisant la rotation des cultures et la biodiversité permet d’éviter l’attaque des cultures de maïs OGM par les larves de chrysomèle, de même, nous dit Pierre Weill,  une alimentation pauvre  en Oméga 6 et riche en oméga 3 évitera  les maladies de civilisation, entraînant des bénéfices considérables au profit des géants de l’agrochimie et  à ceux de l’industrie pharmaceutique qui appartiennent souvent aux mêmes groupes.

QUATRIEME PARTIE : UNE PISTE DE SOLUTION POUR DEMAIN 

Il existe déjà des labels garantis par l’état qui débanalisent les aliments : produits fermiers, produits de montagne, Label Rouge, Slow Food, AOC, label Demeter, logo AB pour l’agriculture biologique. Pierre Weill souligne cependant que la mode du bio a des effets pervers : « Que faut-il penser en effet des biscuits bio avec 25 % d’huile de palme biologique ,des œufs bio avec un ratio Oméga 6 sur Oméga 3 de 20, de l’huile de tournesol bio sur la table de cantine scolaire, des tourteaux de soja bio mélaminé chinois qui nourrissaient des poulets bio français ? ». 

S’intéressant à la mesure du bon goût des aliments issus de la filière lin (tests hédoniques), dans un article paru dans la revue Annals of Nutrition and Metabolism, il apparaitrait que ces aliments sont jugés savoureux.

La filière  Bleu-Blanc-Cœur, créée entre autres à son initiative en 2000, est construite sur la base de l’idée simple que pour bien nourrir les hommes, il faut commencer par prendre soin des cultures et des animaux. Cette « organisation engagée dans une démarche de progrès nutritionnel encouragée par l’Etat » s’attache à respecter la chaîne alimentaire en réunissant tous les métiers de la filière lin, producteur, transformateur, distributeur, contrôle de la production de manière à avoir accès à une alimentation mieux équilibrée en Oméga 3. Elle est surtout développée dans l’ouest de la France. Dans le même temps, les laboratoires des grandes compagnies de l’agroalimentaire développent des animaux OGM brevetés, équipés de gènes de nématodes leur permettant de fabriquer eux-mêmes des Oméga 3 à partir de maïs, de blé, de soja, de palme etc. Ces mêmes filières continueront à détruire la santé des sols voués à la monoculture à coups d’épandages de pesticides. 

DISCUSSION

Ce livre a le mérite de souligner de manière éclatante l’impact de l’alimentation industrielle apportant massivement sucres, acides gras trans et Oméga 3 en excès, sur notre santé. Il montre que l’agriculture bio est protectrice des sols et des eaux, de la terre, mais ne suffit pas à améliorer notre santé : elle ne garantit pas un bon rapport Oméga 3 sur Oméga 6 indispensable en terme de santé publique. 

Il souligne le lien que nous connaissons bien (en tant que médecin formé à la médecine traditionnelle chinoise) entre notre milieu, la terre où nous vivons et qui nous apporte grains et autres nourritures, et notre santé. « Le ciel produit l’homme et la terre le nourrit. La composition des émanations céleste et terrestre se nomme « homme ». L’univers pourvoit à la vie de qui sait se mettre en harmonie avec les saisons, et on nomme fils du ciel, celui qui connaît la création »,  dit le Nei Jing, ce texte fondateur de la médecine traditionnelle chinoise 5 siècles avant notre ère. 

Il présente le projet pilote, la filière « bleu, blanc, cœur ». 

Il soulève quelques réflexions :

  • Pourquoi la condamnation de cette alimentation ne fait-elle pas partie des recommandations du PNSS, (au même titre que l’incitation à manger des fruits et des légumes) ?
  • Pourquoi les publicités vantent-elles tant l’importance des produits laitiers ? Alors que nous savons que leur richesse en graisse trans et en oméga 6 fait le lit des maladies inflammatoires et du cancer du sein et que le calcium -nécessaire chez la femme allaitante ou enceinte et les enfants et adolescents en période de croissance peut être remplacé à moindre frais pour la santé par un comprimé !
  • La teneur en Omega 3 des viandes, des œufs et du lait issu de la filière Bleu, Blanc, Cœur est-elle conservée à la cuisson ?

[1] Les statines sont des médicaments destinés à faire baisser le taux de cholestérol 

[2] GROS : Groupe de réflexion sur l’obésité et le surpoids