Khalil Gibran

Le prophète

Nous te demanderons maintenant de nous parler de la mort…

Vous voudriez connaître le secret de la mort
Mais comment le découvrirez vous si vous ne le cherchez dans le cœur de la vie ?
Le hibou dont les yeux de nuit sont aveugles au jour
Ne peut dévoiler le mystère de la lumière.
Si vous voulez vraiment contempler l’esprit de la mort,
ouvrez largement votre cœur au corps de la vie.
Car la vie et la mort ne sont qu’une seule et même chose,
Comme le fleuve et la mer ne sont qu’une seule et même chose. Dans les profondeurs de vos espérances et de vos désirs, s’abrite votre silencieuse connaissance de l’au-delà ;
Et comme des grains rêvant sous la neige, votre cœur rêve du printemps.
Faites confiance aux rêves, car en eux se cache le portail de l’éternité.

Votre peur de la mort ressemble au tremblement du berger quand il se tient devant le roi et que le roi étend sa main pour la poser sur lui en signe d’honneur.
Le berger ne se réjouit-il pas sous son tremblement de ce qu’il portera l’insigne d’honneur.
Et cependant, n’est-il pas plus conscient de sa peur que de sa joie ?

Qu’est-ce qu’en effet mourir sinon se tenir nu dans le vent et se dissoudre dans le soleil ?
Et qu’est-ce que cesser de respirer sinon libérer l’haleine de son flux turbulent afin qu’elle s’élève et s’étende et cherche Dieu librement ?

C’est seulement quand vous boirez du fleuve du silence que vous chanterez vraiment.
C’est quand vous aurez atteint le sommet de la montagne que vous commencerez à monter.
Et c’est seulement quand la terre réclamera vos membres que vous saurez danser.

Kodo Sawaki

Notre expiration
Est celle de l’univers entier.
A chaque instant, nous réalisons
Ainsi la grande œuvre illimitée.
Avoir cet esprit-là,
c’est faire disparaître tout malheur
et engendrer l’absolu.

Rosa Luxembourg

Lettres de prison, trad. M.Aubreuil, BergInternational éditeur, 1989 

Je suis restée sous le charme
d’un immense nuage d’une belle teinte rose,
tellement irréelle que l’on aurait dit un
sourire, un salut venant d’horizons inconnus.
J’ai éprouvé comme une libération et, sans le vouloir,
J’ai tendu mes deux mains vers cette apparition magique.
N’est ce pas que la vie est belle et vaut la peine d’être vécue, quand elle nous offre de telles couleurs et de telles formes…
Au milieu de ténèbres, je souris à la vie,
comme si je connaissais la formule magique
Qui change le mal et la tristesse en clarté de bonheur.
Alors je cherche une raison à cette joie, je n’en trouve pas et ne puis m’empêcher de sourire de moi-même.
Je crois que la vie elle-même est l’unique secret.

François CHENG

Vraie lumière née de vraie nuit, édition du Cerf, 2009

S’abaisser jusqu’à l’humus où se loge
La promesse du souffle originel. Unique lieu
De transmutation où frayeurs et douleurs
Se découvrent paix et silence. Se joignent alors
Pourri et nourri, ne font qu’un terme et germe.
Lieu du choix : la voie de mort mène au néant,
Le désir de vie mène à la vie. Oui, le miracle a lieu,
Pour que tout ait une fin et que pourtant
_____________toute fin puisse être naissance.

S’abaisser jusqu’à l’humus, consentir
A être humus même. Unir la souffrance portée
Par soi à la souffrance du monde ; unir
Les voix tues au chant d’oiseau, les os givrés
____________Au vacarme des perce-neige !

Antonio Machado

Marcheur, ce sont tes traces
ce chemin, et rien de plus ;
Marcheur, il n’y a pas de chemin,
Le chemin se construit en marchant.
En marchant se construit le chemin,
Et en regardant en arrière
On voit la sente que jamais
On ne foulera à nouveau.
Marcheur, il n’y a pas de chemin,
Seulement des sillages sur la mer.